Les portraits

Vincent Lemaire , SAFRA sur l’accélérateur

En misant sur l’hydrogène dès le début des années 2000, Vincent Lemaire apparaît aujourd’hui comme un chef d’entreprise visionnaire. Figure emblématique d’une technologie prometteuse, il a conscience de vivre un moment inédit, à la fois pour son entreprise et pour le climat.

Vincent Lemaire, président du Groupe Safra
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Souvent les grands innovateurs ont un égo à la dimension de leur proposition technologique. Il n’y a pas ce genre de symptômes chez Vincent Lemaire. L’homme est accessible et chaleureux ; sa communication est simple et il conserve un trait de caractère qui détonne à l’ère du narcissisme débridé : l’humilité.
Pour autant, il a une conscience aiguë de la proposition de valeur que porte son entreprise pour la décarbonation des transports. D’ailleurs, il le dit lui-même : « je suis un explorateur ».

Entré en tant qu’ingénieur en 1992 dans la société créée à Albi en 1955, Vincent Lemaire en est le président depuis 2017. Trois ans plus tôt, il avait déjà fait pivoter la stratégie de Safra pour faire du groupe « un pionnier de la mobilité hydrogène et un acteur historique de la rénovation des matériels de transport de personnes ».

Convaincu par le potentiel de l’hydrogène à un moment où il n’était encore guère populaire de se projeter dans les perspectives d’une économie zéro carbone, il a eu la prescience de détecter qu’il y avait la place pour un nouvel entrant sur le marché de la construction d’autobus. Il a ainsi initié un programme d’innovation destiné à positionner Safra face aux grands acteurs européens que sont Mercedes-Benz, Man ou Iveco.
Mais il l’a fait avec un angle d’attaque qui renforce sa spécificité et lui donne aujourd’hui une force que d’autres n’ont pas. « À la différence de nos concurrents, explique Vincent Lemaire, nous avons choisi de produire uniquement des véhicules zéro émission. Par ailleurs, nous avons fait le choix de produire européen. Quatre opérateurs de l’Union Européenne produisent des bus hydrogène mais les trois autres utilisent essentiellement des composants américains ou asiatiques. Seul Safra utilise des composants européens assemblés en Europe », plus spécifiquement en France, et très exactement à Albi !.

Une énergie tournée vers la mobilité durable

Cette conviction qu’il n’y a pas de décarbonation durable des transports en Europe sans souveraineté industrielle s’inscrit pleinement dans le mouvement actuel de réindustrialisation. « J’ai assisté dans les années 90 au démontage en règle de l’industrie française ; moi, je veux la remonter, martèle Vincent Lemaire qui est par ailleurs représentant régional de France Hydrogène Occitanie. Pour cela, il faut beaucoup de résilience et c’est un combat de tous les jours. »

À en croire les 600 intentions de commande de bus à hydrogène Safra (Businova, exploité depuis 2018 et Hycity, présenté il y a quelques semaines) tout semble indiquer que le marché est prêt. Reste à transformer ces intentions de commande en contrats effectifs. « Il y a un peu d’attentisme, reconnaît le président. Nos clients ont besoin d’être rassurés quant à notre capacité à assurer la montée en cadence de production ; pour cela nous devons renforcer nos fonds propres et gagner la bataille du financement. » C’est l’objectif des prochaines semaines, confie-t-il, songeant en particulier aux discussions en cours avec la Banque européenne d’investissement (BEI), banque européenne du climat.

Pour gagner définitivement sa place, Safra a par ailleurs élargi son offre en proposant non seulement des bus neufs, des services et des solutions mais aussi « du rétrofit, comme l’explique cette fois Stéphane Prin, directeur général de Safra. Il s’agit de convertir les véhicules thermiques en véhicules zéro émission sans avoir à les remplacer totalement. »
Enfin, il y a la solution de la rénovation pour prolonger la durée de vie des véhicules. Cette palette de solutions est le signe que Safra fait d’abord et avant tout le choix du pragmatisme. « Après des années de R&D, le plan de croissance est là. Il faut répondre à la demande du marché ainsi qu’aux enjeux de santé publique et de qualité de l’air. Désormais, il y a urgence à passer à l’échelle », conclut Vincent Lemaire qui semble reconnaître que du statut d’« explorateur » il passe à celui de conquérant.