Les portraits

Georges Bartoli, l’engagement en héritage

Neveu de l’artiste et combattant antifranquiste Josep Bartoli, le photographe Georges Bartoli s’est fait le porte-voix d’une génération d’exilés et d’un devoir absolu de mémoire.

Georges Bartoli

« Lorsque j’étais enfant dans les années 60, on ne parlait pas chez moi de la guerre d’Espagne et des camps en France. On parlait de la vie d’avant et de celle qu’on aurait après, lorsqu’on rentrerait chez nous, en Catalogne ». Mais parce que l’exil creuse souvent des racines, c’est finalement en France, dans un paysage racé des Pyrénées-Orientales, que la famille du photographe reporter Georges Bartoli écrira la suite de son histoire.

« Comme tous les enfants de La Retirada, l’exil fait partie de mon ADN. Il est en nous pour plusieurs générations ».

De l’oncle Josep « le tonton d’Amérique » comme il l’appelle en souriant, Georges Bartoli s’est fait au fil du temps la courroie de transmission d’une histoire traumatique. « Josep, je l’ai connu à 14 ans. De lui, il y avait à la maison parmi nos livres, Campos de concentración 1939-194… publié en 1944 dans lequel Josep témoignait par ses dessins de l’atrocité des camps, une relique pour nous », une horreur vécue par l’artiste interné alternativement à partir de 1939 dans les camps d’Argelès, Saint Cyprien,

Le Barcarès, Agde et Bram ; une histoire tragiquement banale mais aussi hors norme, racontée par le dessinateur Aurel dans son premier film d’animation « Josep » réalisé avec le soutien de la Région et qui a remporté cette année, le César du « meilleur film d’animation ». Josep Bartoli parviendra à s’enfuir des camps. Il se réfugiera au Mexique et quelque temps dans les bras de l’artiste peintre Frida Kahlo avant de s’installer à New-York jusqu’à sa mort en 1995.

« Quand j’ai connu Josep, nous étions raccord sur nos valeurs. Notre relation n’a fait qu’amplifier l’engagement qui était déjà le mien et que j’ai traduit ensuite à travers mes photos contre les injustices, l’écrasement des peuples ».

En 1986, après la seule exposition que Josep Bartoli fera en Catalogne, l’artiste lègue à son neveu Georges le dernier exemplaire de l’édition originale de Campos de concentración avec comme dédicace : « Pour Georges, ce document « photographique » qui peut-être un jour contribuera à briser l’efficace conspiration du silence ». « J’ai porté durant des années en moi ces mots de mon oncle sans savoir quoi en faire. Après sa mort j’ai compris que ce que je voulais ce n’était pas être le simple rapporteur de l’oeuvre de Josep et de La Retirada. Ce qui m’importait c’était de témoigner de l’impact de La Retirada sur les enfants et les petits enfants de cet exil forcé et douloureux ».

En 2009 Georges Bartoli publie chez Actes Sud « La Retirada ». Le recueil compile des dessins de Josep Bartoli et des photos de Georges. « L’épaisseur de ce récit, porté par les textes de Laurence Garcia, vient du regard croisé que mon oncle et moi portons sur la même histoire avec soixante-dix ans d’écart ». C’est en découvrant ce recueil qu’Aurel s’investit pendant dix ans dans son projet de film d’animation.

Aujourd’hui Georges Bartoli travaille activement à la préparation d’une exposition consacrée à l’artiste Josep à partir de septembre 2021 au Mémorial de Rivesaltes. Il garde le poing levé face aux combats à mener « mais la main tendue toujours » et a fait sienne l’idée « qu’il faut s’écarter des cons et combattre les méchants ». « Mes racines catalanes et mon ADN d’enfant d’exilé font le Français à l’identité partagée que je suis au soir de ma vie. Je suis français parce que j’adhère au pacte républicain. La conception politique d’être français m’est profondément chère, elle est identique à celle d’ailleurs que prônait la République espagnole ». Une boucle bouclée.

  • A voir :
    • Josep d’Aurel, Film d’animation – 2019
    • Josep Bartoli, Les sombres couleurs de l’exil – Exposition temporaire à partir du 23 septembre (Mémorial du camp de Rivesaltes)
  • A lire : La Retirada : exode et exil des Républicains espagnols – Actes Sud 2009