Par les temps qui courent, l’idée d’ouvrir les portes pour faire autre chose que du courant d’air a quelque chose de jubilatoire. D’autant plus que cette 5ème Journée des Ateliers d’Artistes fait la part belle aux jeunes, frange de la population particulièrement entravée par le contexte Covid.
Cette année encore, et avec sans doute plus de plaisir que d’ordinaire, on échangera avec les artistes, on déflorera les secrets de la création et l’on repartira, qui sait, avec l’œuvre d’un jeune talent ou d’un artiste confirmé. Les jeunes artistes sont nombreux en Occitanie. La présence de deux classes prépa (Sète et Carcassonne) et quatre écoles d’art (Toulouse, Pau-Tarbes, Nîmes et Monptellier) l’explique en partie.
Dès 2023, les aides de la Région ouvertes aux artistes seront par ailleurs étendues aux jeunes diplômés, ce qui facilitera leur insertion professionnelle. Si les artistes qui dévoilent cette année encore au public l’intimité de leur atelier ne sont pas tous diplômés des écoles locales ni originaires de la région, leur installation à Sète, Lavaur, Maury, Montpellier, Saverdun… est un signe du dynamisme et de l’attractivité de l’Occitanie, louée tout autant pour sa douceur de vivre que pour l’émulation artistique qui y règne. Preuve qu’un beau point de vue sur le territoire peut être propice à l’éclosion d’un riche point de vue sur l’art.
Gaétan Vaguelsy travaille à inscrire sa génération, ses postures et ses codes dans l’histoire de l’Art. Issu du graff et diplômé des Beaux-Arts de Montpellier, il multiplie les allers-retours entre ces deux univers : « Je peins les groupes : footeux, skateurs, associatifs, fous de moto… Je mets tous les codes que j’ai appris aux Beaux-Arts au service de ces personnages qui me sont familiers et que la société regarde de travers. »
Pas de portrait psychologique donc, mais de l’archétypal, du brut et de l’iconique. Quand il ne peint pas sa génération, il regarde le soleil se coucher sur l’Étang de Thau, derrière l’immense baie vitrée de l’atelier sétois qu’il partage avec Sam Krack et Samuel Spone. Un espace de 130m2 au premier étage d’un hangar du parc aquatechnique de Sète, parmi ceux qu’il appelle affectueusement les pirates : réparateurs de bateaux, menuisiers, ferronniers et intermittents du spectacle employés sur les séries télé tournées à Sète.
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Léa Ducos échafaude une oeuvre protéiforme (installations, sculpture, assemblage, collage), dans laquelle le bois de récupération occupe une place prépondérante. Rentrée en France après une longue parenthèse artistique en Allemagne, elle vit désormais à Maury, terre de vins doux et de caractères forts, à une trentaine de kilomètres de Perpignan, sa ville natale.
L’ancien chai qu’elle occupe au coeur du village se prête à merveille à sa pratique artistique, aussi bien par l’atmosphère inspirante qui y règne, que pour les grands espaces de stockage et d’exposition qu’il déploie.
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Nourrie de hors-champ et d’à-côtés, la photographie de Lorraine Druon révèle le singulier dans l’ordinaire. Point de vue sur le monde qu’elle mature depuis les Beaux-Arts de Paris dont elle est diplômée : « Là-bas, je faisais de la photo avec l’idée naïve que les images suffiraient à arracher des moments au réel.
Petit à petit, j’ai écrit des textes pour pallier les manques, et je me suis mise à faire des livres. » Dans son atelier de Lavaur, cité tarnaise où elle a passé son enfance, elle recevra les visiteurs avec la curiosité et le sens de l’accueil qui la caractérisent, elle qui se dit attentive à tout ce qui est susceptible de créer « de l’imprévu et du débordement ».
Dans l’ancienne maison Delcassé mise à disposition par la mairie de Saverdun, cinq artistes composent Les Ateliers DLKC. Un lieu ouvert et vivant propice à la dynamique collective, où les écoliers de la commune viennent se frotter au processus de création.
À l’origine des Ateliers DLKC : Guilhem Roubichou. Ce jeune artiste de Saverdun est lauréat 2022 d’une aide à la création de la Région Occitanie. Formé à l’ESAP de Tarbes et à la Villa Arson à Nice, il poursuit à Saverdun son projet artistique (un dialogue entre l’histoire de l’art et la culture rurale post-industrielle) tout en satisfaisant son goût pour les artist-run spaces, ces centres d’art gérés par les artistes eux-mêmes.
Dans son sillage, Kristofer Hart, Lori Marsala, Debby Barthoux et Yoann Bergouts. Le premier est lauréat en 2021 d’une aide à la création de la Région. Il partage son temps entre son tiers-lieu toulousain, Le Box, et DLKC. Lori Marsala, elle, explore la mélancolie des traces urbaines effacées, qu’elle appelle « fantômes ». À ses côtés, Yoann Bergouts, artiste régisseur de Lieu-Commun, et Debby Barthoux, peintre d’une époque saturée d’images, qui ne conçoit sa position d’artiste que dans le partage et l’utilité sociale : « J’ai commencé par intervenir dans des centres d’hébergement d’urgence. J’anime aujourd’hui des ateliers d’arts plastiques pour les adolescents de Saverdun. Je veux montrer que chacun peut s’emparer de l’art contemporain. » Aspiration qui synthétise parfaitement l’état d’esprit collectif de DLKC.
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Trois jeunes diplômés de l’École supérieure des Beaux-Arts de Montpellier (MO.CO. Esba) louent depuis cette année les anciens locaux du Parti communiste de l’avenue de Lodève. Ils y abritent désormais leurs rêves d’artistes, et un projet culturel ouvert sur la ville et ses habitants.
Pourtant très attachés à Montpellier, Malo Gagliardini, Ugo Masciave et Baptiste Eybert s’apprêtaient à quitter la ville faute d’atelier quand le 47bis est apparu sur Le Bon Coin. « Surface parfaite pour accueillir nos trois ateliers et du stockage.
Situation intéressante au centre-ville : indispensable pour notre projet qu’on souhaite ouvert sur les autres. Plus qu’un atelier, on veut devenir un lieu d’échanges artistiques et jouer le rôle de commissaires d’expo » résume Baptiste Eybert. Ce dernier, engagé dans un travail centré sur les grandes surfaces de tissus et les vêtements, a installé sur place son armada de machines à coudre. Son ancien colocataire, Ugo Masciave, chineur d’images qui multiplie les allers-retours entre numérique et analogique, travaille dans la pièce à côté. Le dernier atelier est occupé par Malo Gagliardini, diplômé un an avant Ugo et Baptiste, sculpteur de l’ère post-industrielle, qui a trouvé dans le néologisme bricologie, une définition satisfaisante de son art.
Le quartier des Ruelles est un lieu à part demeuré à l’abri des voitures et du temps. Ses grands murs de pierre dissimulent des secrets bien gardés, au premier rang desquels l’atelier de Célie Falières. La sculptrice l’a conçu et pensé pour sa pratique artistique gravitant autour des techniques artisanales (céramiques, teintures végétales…). Elle en ouvre les portes au public pour la première fois, heureuse de renouveler cet exercice auquel elle se livrait auparavant au Bastion 14, les ateliers de la ville de Strasbourg.
« Ce sont toujours des moments agréables confie-t-elle. Parfois déroutants parce que l’atelier touche à l’intime, mais toujours stimulants. »
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Le centre d’art contemporain MAGCP de Cajarc sélectionne chaque année de jeunes diplômés des quatre écoles supérieures d’art d’Occitanie pour une résidence d’automne accompagnée par un critique d’art. Les lauréats s’installent pour deux mois en septembre dans les Maisons Daura, propriétés de la Région Occitanie.
Les portes des ateliers s’ouvrent cet automne sur les installations de peinture, son, lumière, moteurs et sculptures de Guillaume Boilley, sur les sculptures hybrides animistes de Virginie Cavalier, sur les peintures méditatives et les installations de Ji Seo, et sur les motifs dessinés, peints ou sérigraphiés de Marion Lebbe, fascinée par la copie et la répétition.
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Depuis 2019, l’artist-run space toulousain Lieu-Commun stimule la scène locale avec une résidence d’un an associant un jeune diplômé de l’isdaT et un artiste émergent. Parmi les lauréates cette année, Bonella Holloway, qui a reçu en 2020 le prix Mezzanine Sud des Abattoirs, une récompense réservée aux artistes régionaux âgés de moins de 35 ans.
Qu’attendez-vous de cette résidence ?
J’ai envie de m’imprégner de Lieu-Commun, qui est pour moi l’entre-deux idéal. D’un côté expérimental et étrange, de l’autre professionnel et institutionnel.
La création artistique est généralement un cheminement solitaire. Comment envisagez-vous cette résidence en duo ?
Avec beaucoup d’impatience parce que je me sens un peu seule, parfois, dans le processus de création. Quand arrive la rencontre avec le public, c’est généralement que le travail est fini. Je trouve stimulante l’idée d’avoir à mes côtés quelqu’un avec qui échanger pendant le processus de création. On a besoin que l’autre devienne un vecteur de questionnement, qu’il soulève des choses qu’on ne peut pas voir sur son propre travail.
Bonella Holloway, c’est un nom d’artiste ?
Pas du tout. Ma famille est britannique. Je suis moi-même née à Londres. Mes parents m’ont choisi comme prénom… un nom de famille italien ! Sans doute leur côté artiste, à eux aussi.
À quand remonte votre rencontre avec la France ?
Je suis arrivée dans le Gers à l’âge de 9 ans. J’y suis restée jusqu’au Bac. J’ai intégré ensuite les Beaux-Arts de Toulouse dont je suis sortie diplômée il y a 7 ans.
Comment résumeriez-vous votre propos artistique ?
J’imagine un effacement de la hiérarchie qui existe dans les structures émotionnelles, relationnelles, linguistiques et sociales qui nous entourent. J’essaie de voir ce qui se passe quand on accorde autant d’importance à un bout de poussière qu’à une sculpture dorée ; quand on écoute avec la même attention un musicien expert et quelqu’un qui marque le rythme avec un Bic sur le bord d’une table. J’essaie de comprendre ce qui change quand on considère que tout a la même valeur.
Quels modes d’expression privilégiez-vous ?
Mon obsession, c’est de comprendre le monde et de le voir tel qu’il est. Pour cela, j’utilise la
vidéo. C’est l’entourloupe la plus efficace que j’aie trouvée pour me faire croire que je capte le réel. Mais comme la vidéo est prisonnière de sa linéarité, je travaille aussi en installation, pour donner l’illusion de l’ubiquité, et offrir un semblant de réel.
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Réalisé et publié par la revue Ramdam